Archives Mensuelles: août 2012

Harcèlement de rue : mon sentiment

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Beaucoup de choses ont déjà été écrites, et dites sur le documentaire de Sofie Peeters intitulé « Femmes de la rue« , mais en tant que membre de WoMoz j’avais envie de partager mon point de vue. Parce que ce documentaire révèle un sexisme ordinaire sur lequel on ne peut pas fermer les yeux. Et parce que nous sommes tous concernés. Cela va bien au-delà du monde informatique. Je dirais même que cela ne concerne pas vraiment le monde informatique. C’est en dehors. Mais c’est violent.

Les extraits du film – diffusé à la télévision belge – montrent donc Sofie Peeters, munie d’une caméra cachée, se faire accoster de manière quasi systématique par des hommes qui manifestent leur souhait de boire un verre avec elle, de l’emmener dans une chambre d’hôtel, qui la complimentent sur ses « belles petites fesses », ou qui la traitent de « salope » et de « chienne ».

Partie de Belgique, où réside la jeune femme, la polémique est arrivée en France. Une polémique salutaire à mon sens qui, via le hashtag #harcelementderue, a envahi la toile. On a vu soudain des hommes prendre conscience, pour certains, du phénomène. D’autres refuser d’y croire. Et puis des femmes qui soudain en parlaient, déversaient des torrents de tweets pour raconter leur quotidien. Chacune y allant de son anecdote. Chacune exposant enfin son mal-être. Bien sûr, toutes les femmes ne partagent pas ce point de vue. Certaines accusent les autres d’exagérer, ne se sentent pas concernées. Certains hommes, eux, prennent peur : n’ont-ils plus le droit de draguer ? Comment peuvent-ils aborder une jeune fille à leur goût si cette dernière le vit comme une agression ? Très vite, beaucoup de questionnements sont apparus, révélant la complexité de ce « harcèlement de rue ».

En ce qui me concerne, depuis l’émergence de cette polémique, je me sens soulagée et angoissée à la fois. Soulagée car je me sens moins seule de voir que ces petites remarques quotidiennes, des « mademoiselle », ces « tu viens dans ma chambre ? », ces sifflets, voire ces mains aux fesses… Eh bien ce fardeau, nous sommes des millions de femmes à le porter. Et à nous demander quelle réponse apporter : doit-on sourire à un compliment, même douteux, même si en fait il ne nous fait pas plaisir, pour avoir la paix ? Doit-on les ignorer, au risque de se faire insulter (c’est fréquent) ? Doit-on dire ce que l’on a sur le cœur (au risque de se faire agresser, ces mâles n’aimant pas que l’on porte atteinte à leur virilité) ? Souvent, je souris. Et j’ai la paix. Et ensuite je m’en veux car j’ai l’impression d’avoir encouragé cette attitude.

Soyons clairs. Ces petites remarques, même pour nous dire que l’on est « charmantes », ce n’est pas de la drague. Ce n’est même pas un compliment. Quant c’est dit à haute voix et à la cantonade, c’est juste une manière de nous traiter comme du bétail. Comme un produit. Ce n’est pas une marque d’intérêt, c’est une marque de mépris. Explicite, vocal, le machisme est sans doute à lier à l’affirmation d’un sentiment d’appartenance au groupe. La femme à ce moment-là, on s’en fout. Ce qu’on veut, c’est marquer son territoire, montrer ses pectoraux. C’est moche, c’est mesquin, c’est con. Et c’est insupportable.

Ce qui m’agace plus que tout, c’est de constater qu’il m’a fallu ce documentaire pour réaliser à que point j’avais fini par composer avec ces petites agressions quotidiennes. Même la main aux fesses : je ne hurle pas, je ne me retourne pas. Je trace ma route en maudissant intérieurement l’auteur de cette atteinte à ma personne. Et puis, j’oublie. Parfois j’en parle à une amie, qui va avoir une anecdote du même acabit. Mais on ne se révolte pas.

Et pourtant, je me sens révoltée aujourd’hui. Ulcérée. Chacune de ces remarques me revient comme un boomerang. Pour chacune j’élabore une réponse que j’aurais dû avoir, voire un coup de pied bien placé. Mais je me sens impuissante. Et donc angoissée devant l’ampleur de la tâche. Angoissée quand je vois ce harcèlement de rue être minimisé par un trop grand nombre de personnes.

Le sentiment d’oppression, voire de culpabilité, souvent imposé par la personne qui harcèle, qui ne vise absolument pas à complimenter mais force sa victime à se sentir inférieure en raison de son sexe, coupe net le réflexe que devrions avoir d’invectiver comme il se doit le goujat. Le fait que les femmes qui sont ciblées ne perçoivent pas toujours le caractère dégradant de l’intention derrière l’acte, et se sentent choyées par l’attention qu’on leur porte, ne fait pas de ce sentiment chez d’autres une affabulation.

Avec WoMoz, nous nous battons pour rendre accessible l’informatique autant aux femmes qu’aux hommes. Nous tentons de lutter contre les préjugés qui affirment que les femmes n’ont rien à voir avec les ordinateurs, ce genre de choses. Mais à la base de tout, il y a cette soumission quotidienne des femmes à une réalité insultante. Et là, que pouvons-nous faire ? A mon sens, aider à une prise de conscience généralisée du caractère inadmissible du harcèlement de rue.

Le documentaire « Femmes de rue » est aujourd’hui pointé du doigt car certaines y voient la dénonciation d’un groupe social, voire ethnique, en particulier. La vérité, c’est que ce sont simplement les habitants du quartier de Sofie Peeters. Car à mes yeux, tout le monde peut participer au harcèlement de rue. Même ailleurs que dans la rue.

Moi qui suis actuellement à San Francisco, je peux vous dire qu’il m’arrive de déguster. En tant que Française, c’est comme si je portais sur mon visage l’autorisation de me manquer de respect. Je collectionne les « ça va chérie ? », « tu me donnes ton numéro de téléphone ? », prononcés au vol. Devrais-je me sentir flattée ? Suis-je censée apprécier parce que je suis une Française, et donc forcément une débauchée ? Ou est-ce tout ce qu’ils ont appris en français ? En tout cas, voici la preuve que l’Europe n’est pas seule concernée.

Mais prenons à présent le monde du Logiciel Libre. Je dois reconnaître que je m’y sens souvent comme dans un cocon, avec des geeks attachants, qui me respectent et savent pertinemment que je suis en couple de longue date. Des geeks qui se disent prêts à multiplier les efforts pour aider les filles à se sentir bien dans le milieu de l’informatique. Pourtant. Pourtant, qui n’a pas vu les filles en débardeurs de l’Ubuntu Party se voir manquer de respect par des geeks qui se muent soudain en petits cons ? Parce que ce jour-là elles apparaissent comme des hôtesses… Et le respect s’enfuit ? Et vous qui ne vous livrez pas à ce genre de réflexions dégradantes, avez-vous pensé à demander à ces femmes ce qu’elles en pensent ? Ou avez-vous fermé les yeux ?

Le problème, c’est la banalisation ! Parce que ce n’est pas un viol, on occulte. Parce que ce ne sont que des mots, on occulte. Combien d’entre vous, messieurs, qui avez le nez dans vos ordinateurs, étiez conscients de cette réalité ? Le monde du Libre n’est pas épargné. Alors un petit conseil : apprenez la différence entre une remarque inappropriée et un compliment. Entre la séduction et la goujaterie. Et vous verrez les femmes lever les yeux, sourire, et se sentir bien.

Tous ensemble, refusons la banalisation du sexisme ordinaire.